Réactions à MAJERUS (2009): Pourquoi “Réfractaire” n’est pas seulement un film ennuyeux

J’ai eu la chance de lire un excellent, et court, article de mon ami Benoît ce matin…

Dans cet article Benoît Majerus fait la critique “historienne” d’un récent film à la frontière entre le documentaire historique, la fiction et le film pédagogique.

Je suis, en tant qu’enseignant-chercheur actif dans le domaine des “Educational Technologies”, évidemment interpellé par tout matériel multi-media qui se veut pédagogique/didactique, quel que soit le domaine de connaissances concerné. Et je me suis un peu senti visé par Majerus quand il dit de lui-même qu’il n’a “pas de compétence pédagogique particulière dans le domaine”, et qu’il m’a personnellement rendu attentif à son article.

Après la lecture du texte de Majerus, j’ai aussitôt visité le site Internet du film en question, et j’ai eu la chance de me faire une idée sur les qualités pédagogiques du “dossier pédagogique” qui accompagne le film… Je vais tenter de vous, chères lectrices et chers lecteurs, faire une analyse un tant soit peu nuancée, distanciée, scientifique et pédagogique.

Si vous trouvez que j’ai raté cet exercice, n’hésitez pas à m’en faire part, ici sur mon blog, en laissant un commentaire! Je suis ouvert à toute critique constructive!

Il me semble, à première vue, relativement évident dans quel schéma ce dossier “pédagogique” s’insère… La première partie du document s’insère parfaitement dans une logique pédagogique que l’on peut qualifier de “filling the learner”, i.e. que cette documentation (http://refractaire.lu/downloads/DossierPedagogique.pdf) fournit des informations (certes structurées et retravaillées, je suis pas ici pour juger de la qualité des contenus historiques, comme Majerus l’a déjà si bien fait dans son article) aux apprenants, afin qu’ils puissent s’imbiber (cette fois-ci grâce à un texte écrit) du message du film. Elle veut donc principalement “transmettre des connaissances factuelles”.

La deuxième partie du document se veut un peu plus “inter-active”, comme elle propose aux apprenants un certain nombre de questions à choix multiples en relation avec des problématiques de type éthique (Q’auriez-vous fait à leur place?). Je suis absolument d’accord avec l’analyse “naïve” de Majerus qu’une telle approche frise de très près le ridicule et je reprends ici simplement les écrits de l’auteur:

“Le réalisateur y explique les deux publics-cibles de son film : les pays avoisinants qui n’entendent souvent parler que d’une manière négative du Luxembourg (“liste noire des banques” – sic !) et les jeunes, pour leur montrer quelle chance ils ont de vivre au Luxembourg (resic !). La première affirmation frise tellement le ridicule qu’elle ne vaut guère la peine d’être discutée. Normalement le Service information et presse est responsable de l’image du Luxembourg à l’étranger. Fonctionnaliser les réfractaires pour redorer le blason du Luxembourg… fallait y penser.

Mais le deuxième constat pose également problème. Il comporte d’abord un jugement moralisateur sur la facilité de la vie pour les jeunes d’aujourd’hui.” (Majerus, pp. 51-52).

De mon point de vue, je ne puis que souligner cette analyse puisque ce type de matériel “pédagogique” se limite essentiellement à proposer aux jeunes des questions et à fournir, en même temps, des réponses “toutes faites”… alors que les problématiques éthiques et morales sont et seront toujours, per se, de nature ouvertes, compliquées et interpellantes. Il n’y a pas de réponses toutes faites, fermées, préfabriquées aux dilemmes éthiques… et faire semblant de proposer des solutions “équivalentes” me semble assez ridicule… surtout si l’on prend en compte le contexte pédagogique-didactique “transmissif”, “top-down”, “informatif”, “centré-sur-l’enseignant” de ce “dossier pédagogique”… Nous savons parfaitement bien, et maintes études en psychologie sociale l’ont clairement montrées (voir par exemple Lemaine, 1965), que les élèves, dans de telles situations, ont tendance à dire ce qu’ils et elles pensent que leurs enseignant-e-sv veuillent entendre. Et que ces paroles ne sont nullement, ou que très rarement, accompagnées de véritables changements d’attitudes et de comportements. Il me semble donc, a priori, que cette partie a de très fortes chances de rater son objectifs d’apprentissage: amener les jeunes à s’exprimer activement et à entamer des changements plus profonds.

Et les problématiques adressées par le film et le dossier, celle de l’extrême-droite, de la xénophobie et de l’obéissance-par-ignorance, sont bien trop importantes, aussi dans les écoles aujourd’hui, que l’on puisse se limiter à de telle pratiques douteuses sur le plan pédagogique! Nous devons faire en sorte que nos jeunes apprennent véritablement à devenir des individus émancipés, responsables, courageux, intelligents, respectueux et vertueux! Mais ce sera par le billet d’une approche pédagogique fondée sur la réflexion critique et l’action sociale responsabilisante que nous y parviendrons et non pas à travers d’une approche moralisante basée sur le discours enseignant.

J’aimerais ici aussi faire référence à un modèle pédagogique actuellement très en vogue dans le domaine des technologies, des médias et du multi-média à l’école, le modèle de Punya Mishra et Matthew J. Koehler appelé TPACK (pour de plus amples informations veuillez consulter www.tpack.org). Ce modèle préconise qu’un enseignant qui veut intégrer – de façon sensée et efficace – du matériel (technologique) d’apprentissage dans son enseignement il doit puiser dans 3, voire 4 types de connaissances théoriques et pratiques: des connaissances pédagogiques, des connaissances technologiques et des connaissances disciplinaires (sur le contenu à enseigner/apprendre), ainsi que des connaissances sur le contexte (social, culturel, éducatif, politique, institutionnel, technologique) dans lequel il travaille avec ses élèves ou étudiants. Des failles dans l’un de ces domaines de connaissances feront en sorte que les activités d’apprentissages ne seront pas optimales ou n’atteindront pas les objectifs visés. Le fait que ce film ainsi que la documentation pédagogique associée semblent contenir des points faibles au niveau des connaissances historiques, comme nous l’a démontré Majerus, rend ce matériel d’autant plus “inadéquat” qu’il se positionne, de façon pédagogique dans une logique d’instruction plutôt que dans une logique de découverte, de construction ou de co-construction du savoir.

De plus — et je vous l’accorde, ceci peut sembler très snob et trop facile de ma part — allier (1) une approche didactique basée sur l’instruction, centrée sur l’enseignant “savant” et (2) les fautes de frappes dans un “dossier pédagogique” (peut-être elles liées à des manques de connaissances et de savoir-faire technologiques) me semble pour le moins tragiquement comique… fallait au moins garantir ceci si l’on se croit dans la position de pouvoir “enseigner des faits historiques” (dans le sens du terme allemand JEMANDEN BELEHREN)…

Personnellement je préfère me positionner dans une position pédagogique autre, celle de l’enseignant-chercheur-apprenant qui découvre, qui crée et qui partage des connaissances dans une communauté d’apprenants. Tous chercheurs! Tous créateurs! Tous auteurs!
“EXPLORE, CREATE, SHARE” (Mishra, 2009)

Références:
• Lemaine, J.-M. (1965). Dix ans de recherche sur la désirabilité sociale. L’année psychologique. Vol. 65, n°1. pp. 117-130. Retrieved 25 Septembre 2009 from http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1965_num_65_1_27359
• Majerus, B. (2009). Pourquoi Réfractaire n’est pas seulement un film ennuyeux. Forum. 289, pp. 51-52, retrieved 25 September 2009 from http://www.forum.lu/pdf/artikel/6649_289_Majerus.pdf
• Mishra, P. (2009). Explore, Create, Share… the videos. Retrieved 25 September 2009 from http://punya.educ.msu.edu/2009/06/30/explore-create-share-the-videos/
• Mishra, P., & Koehler, M. J. (2006). Technological Pedagogical Content Knowledge: A new framework for teacher knowledge. Teachers College Record. 108(6), pp. 1017-1054.
• Steil, N., Schlesser, J.-L. & équipe d’Iris Productions (2009). RÉFRACTAIRE – Un film de Nicolas Steil – Dossier pédagogique. Retrieved 25 September 2009 from http://refractaire.lu/downloads/DossierPedagogique.pdf

4 Feedbacks on “Réactions à MAJERUS (2009): Pourquoi “Réfractaire” n’est pas seulement un film ennuyeux”

  1. je vais évidemment devoir me soumettre à l’exercice d’honnêté intellectuelle et visionner le film en question… afin de pouvoir me faire une idée informée du film lui-même… je vous ferai part, ici, de mes réflexions dès que possible…

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